"I May Destroy You", une comédie dramatique qui ne laisse pas de marbre


Affiche officielle de la série I May Destroy You de Michaela Coel (© HBO Max)

ATTENTION : cet article aborde le sujet des agressions sexuelles 

Je suis loin d’être une grande spécialiste de séries, mais j’ai mes périodes. Et aujourd’hui je voulais faire le tour de la série britannique I May Destroy You, qui a été diffusé en 2020 sur la chaîne états-unienne HBO. Écrite, produite et co-dirigée par l’actrice et scénariste britannique Michaela Coel, I May Destroy You met en scène la vie d’Arabella, qui prend  un virage à 180° après avoir été victime d’agressions sexuelles. Pétillante mais non-romantisée, cette comédie dramatique dépeint avec une étonnante authenticité toutes les contradictions et absurdités de la vie d’une jeune autrice londonienne, qui essaye de se (re)trouver dans l’écriture.



Viol(s) et vie chamboulée  

Si nous suivons le schéma narratif classique, nous pouvons dire que le noeud de la série s’entremêle autour de la vie post-agressions sexuelles d’Arabella. Le(s) viol qu’a subit cette dernière est LE moment de bascule et va perturber la vie de l’autrice ainsi que celle de son entourage, notamment sur le plan relationnel et mentale. 


Auteure d’un premier livre Chroniques d’un millénaire en colère, Arabella s’attaque à son nouveau roman, qui lui donne du fil à retordre. C’est durant cette période de transition littéraire qu’elle voit sa vie bouleversée, après avoir subi un premier puis un second viol. Du déni à la prise de conscience, Arabella se retrouve à devoir soigner une plaie qui ne pourra peut-être jamais cicatriser. Entre thérapies, groupes de parole, réseaux sociaux, yoga et peinture, la jeune autrice se doit de faire une pause dans son processus d’écriture. Cette pause n’est pour autant pas synonyme de repos, car Arabella va devoir composer avec une vie amicale et sentimentale fragile, qui va l’amener à réévaluer l’ensemble de son existence. Néanmoins, cela se révélera être une étonnante source d’inspiration. 

De leurs côtés, Kwame, Ben, and Terry vont devoir jongler entre leurs difficultés personnelles (avec l’un également victime d’agressions sexuelles), et leur nécessaire accompagnement dans la guérison de leur amie, ce qui va conduire à des scènes sous hautes tensions et des douloureuses  remises en question. Dans ce contexte instable post-viol, Grindr, Instagram et Facebook, quant à eux, se présentent en refuge idéal pour les protagonistes, qui y voient un moyen de partager leurs expériences avec une communauté élargie. Néanmoins, I May Destroy n’oublie pas de montrer les abus et dérives de ces plateformes, qui peuvent emprisonner les personnages dans une spirale infernale, éloignée de la réalité. Pour plus d’informations sur le processus d’écriture de la série, je vous recommande cet article du New York Times.


Au travers de plans dynamiques et percutants, le titre prend tout son sens, car le viol, en heurtant de plein fouet Arabella et son entourage,  pourrait être compris comme un « je », qui pourrait « te » ou « vous » détruire.



Une plongée dans la vie des Afro-britanniques 

Outre la question du viol, cette mini-série laisse transparaître des pans de la vie des Afro-britanniques, dans une société anglo-saxonne où le racisme était toujours très présent. Loin du tropique de la criminalité ou du meilleur ami du personnage principal, souvent blanc, I May Destroy propose un récit de personnages noirs mêlant honnêteté et normalité.  


Loin de correspondre aux caractéristiques stéréotypés de la “strong black woman“, Arabella est une jeune femme maladroite, honnête, fétârde, angoissée, hésitante, et encline à des moments de blancs lors de discussions importantes. Elle et ses amis.es Kwame et Terry sont simplement présentés.es comme de jeunes adultes décomplexés profitant à fond de leur jeunesse. Ce sont certains évènements qui leurs rappellent, et nous rappellent, l’environnement discriminant et fétichisant dans lequel il et elles évoluent, que ce soit le fait de demander d’enlever une perruque pour voir les “vrais“ cheveux, ou de se faire insulter de “stupides singes“ au lycée. Et Arabella ne manque pas de s’exprimer là-dessus via les réseaux sociaux, récoltant les témoignages de centaines d’internautes. Elle se réjouit également que sa patronne soit une femme noire, y voyant en elle une potentielle alliée.




Arabella (Michaela Coel) et sa meilleure amie Terry (Weruche Opia) entrain de faire la fête (© The Guardian- Nathalie Seert/BBC/Various Artists Ltd and FALKNA) 


I May Destroy nous offre également un aperçu de la vie d’une famille afro-britannique, entre transmission du savoir culinaire et repas familiale à l’ambiance pesante. La question identitaire n’est pas en reste : ces personnages afro-britanniques sont dépeints dans toute leur complexité, à la croisée d’identités diverses. Kwame, jeune homme noir et gay, fait la connaissance d’un autre homme confronté aux même stéréotypes autour de l’homme noir et de l’homosexualité. Originaire du Ghana, Arabella porte toujours une attention particulière aux podcasts qui ont des invités d’origine ghanéenne, bien qu’elle ait grandi et passé toute sa vie en Grande-Bretagne. 


Récompensé d’un Primetime Emmy Award du meilleur scénario pour une mini-série ou un téléfilm en 2021 , I May Destroy You est une comédie dramatique attachante, sans artifices, sans “happy ending“ cliché, qui nous rappelle qu’après la douloureuse pluie, vient le beau temps.


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