Qu’est-ce que le waacking ?


Le spectacle D.I.S.C.O par la compagnie Madoki (© Karavel-Mehdi BsmK)


Terres de la culture hip-hop, les États-Unis ont vu émerger dans les années 1970 un style de danse d’un genre nouveau, aux affluences funk et disco : le waacking. Ce nom ne vous dit sûrement rien, car le waacking est encore peu connu du grand public, contrairement au hip-hop ou au breakdance. Au travers de témoignages de deux "waackeuses" strasbourgeoises, dressons le portrait de ce style de danse plein de fougue.



 



L’histoire du waacking 

Tout droit venu de Californie, c’est au cœur des clubs gays afro-américains et latinos que le waacking a ainsi fait son apparition. S’épelant au départ "whacking", ses créateurs queers se sont réapproriés son écriture, optant pour une orthographe avec deux "a", loin des connotions violentes et humiliantes portées par le mot "whack" signifiant "gifle"  ou  "nul". 

Entre poses et tours de bras, le waacking est un dérivé du "punking" et puise ses mouvements dans la pop culture en s’inspirant du glamour et de l’élégance de stars comme Marilyn Monroe ou Marlène Dietrich. Des personnages tels que Catwoman ou Bruce Lee ont été respectivement à l’origine du "waack", mouvement d’ouverture des poignets, et des "arms drills", succession latérale d’enroulement et de déroulement du bras. Comme nombre de danses urbaines, le waacking est une danse issue de communautés ostracisées et discriminées qui cherchaient à faire entendre leurs voix et à exprimer leur créativité. 


Ce style de danse aurait pu disparaître dans les années 1980, suite à l’épidémie de SIDA, qui a été fatale pour nombre de précurseurs du waacking… C’est sans compter sur l’initiative du danseur Brian « Footwork » Greene, qui au début des années 2000 a repris contact avec Tyron Proctor, l’un des waackeurs "originels" et danseur de Soul Train. Cette émission de variétés afro-américaine a été crée par Don Cornelius en 1967. De nombreux artistes de la scène funk et soul y étaient invités, et les danseurs formaient deux rangées parallèles et traversaient en duo de bout en bout, aux rythmes de la musique funk et disco.


En transmettant son savoir, Tyron a inspiré une toute nouvelle génération de waackeurs chargés de transmettre le flambeau, à l’instar de Princess Lockerooo, la fameuse "Queen of Waacking".




Portrait de feu Tyron Proctor (© Broadway Dance Center)



Waacking vs voguing 

Souvent confondus, le voguing et le waacking sont deux styles bien distincts et, ce dès leur apparition. Néanmoins, cela n’empêche pas des danseurs comme l’incontournable Archie Burnett de créer des ponts entre ces deux danses issues de la même communauté LGBTQIA+. 

Le waacking est un style à part entière car issu des nights clubs, comme la house dance entre autres. Bon nombre de waackeurs comme Cherine, originaire d'Hong Kong, ont découvert ce style dans les clubs underground. Elle s’est laissée envoûtée par la liberté et la confiance en soi qui se dégageaient des waackeurs enflammant le dancefloor. En effet, l’une des caractéristiques principales de cette danse est son aspect théatrale et musicale. Dansant essentiellement sur des sons funk/disco, le ou la waackeur.se matérialise la musique avec son corps, s’exprime et crée un univers qui lui est propre ; c’est ce qui a dès lors plu aux waackeuses Cherine et Hilda. À partir de bases simples, le waacking peut se mélanger avec d’autres danses comme le hip-hop ou le jazz, et ouvre ainsi un vaste champ des possibles, permettant à chacun et chacune de partager et de s’exprimer. 


À l’instar du waacking, le voguing est aussi une danse de revendication, qui caricature notamment la classe bourgeoise. Cependant, comme le rappelle Cherine, bien qu’issu de la même communauté, le voguing et le waacking ne sont pas issus de la même culture. En effet, la culture du voguing est la ballroom scene  (la "culture ball" en français), qui désigne la  "sous-culture" LGBTQIA+ qui consistait en des marches compétitives pour gagner un prix, incluant de la danse et des catégories drag imitant les classes sociales et les genres. Dès lors, le voguing se caractérise par une technique spécifique et normée, jouant sur les lignes et les formes angulaires. De part son origine et son rythme spécifique, le voguing peut ainsi difficilement se mélanger avec d’autres styles de danse comme la house ou le hip-hop. 








Le waacking aujourd’hui 

Tel un phœnix qui renaît de ses cendres, le waacking tend aujourd’hui à se populariser et à s’internationnaliser, comme en témoigne la performance de Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron au Jeux Olympiques d’Hiver 2022. 


La communauté florissante de waackers se retrouve dans de nombreux évènements tout au long de l’année, prenant place aux quatre coins du monde. Rien qu’en Europe, il y a presque autant d’évènements de waacking que de jours dans l’année. Waack in Paris, Waack it out, All Europe Waacking Festival, Eleganza Waacking Festival font partie des nombreux festivals qui réunissent les waackeurs du monde entier, dans une ambiance rappelant la fièvre du samedi soir. Récemment, le waacking a été mise à l’honneur lors du Summer Dance Forever, évènement de danse urbaine incontournable se tenant à Amsterdam. Après des battles endiablés, plein de fougue et de funk, c’est la waackeuse parisienne Mounia Nassangar qui a remporté la compétition, au terme d’un face-à-face intense contre une autre waackeuse francophone, Mutekirena.  













Mounia Nassangar est une grande inspiration pour Hilda et Cherine. "Avec des mouvements très simples, elle attire l’attention de tout le monde et exprime ce qu’elle veut, grâce à sa prestance et l’énergie qu’elle dégage", confiait Cherine. Hilda admire également d’autres waackeuses internationales comme la canadienne Ebony et sa capacité à alterner dans sa danse le "contenu et relâché", ou encore la sud-coréenne Lip-Jay et sa technique impeccable et peu conventionnelle. 


Aujourd’hui, le waacking est en phase de connaître un nouvel âge d’or, avec l’avènement de danseurs et danseuses talentueuses venant des quatre coins du monde : Mounia Nassangar, Ebony, Lip-Jay, mais aussi Doma, Princesse Madoki, Boubou, Haejun, et tant d’autres. Sous l’œil des légendes comme l’exubérant Archie Burnett ou l’extravagante Princess Lockerooo le waacking se perpétue, se mélange, mais surtout, garde son identité disco et libératrice.



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