Afrobeat ou Afrobeats ?
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Burna Boy, Fela Kuti, et Wizkid (©NotJustOkay) |
Est-ce que quand j’écoute le dernier album de Burna Boy, j’écoute de l’afrobeat ou de l’afrobeats ? Et bien oui et non, car le pluriel ici n’est pas anodin. En effet, il permet de différencier deux termes souvent confondus, et qui renvoient à deux genres de musique bien distincts.
L’afrobeat = Fela Kuti
L’afrobeat est Fela Kuti. Fela Kuti est l’afrobeat. Artiste majeur de la scène musicale nigériane des années 1970-80, Fela Anikulapo- Kuti, dit Fela Kuti, a participé à définir les contours du genre musical de l’afrobeat.
L’afrobeat est avant tout une musique engagée, à l’image de l’artiste qu’il l’a popularisé dans les années 1970. Profondément marqué par les idées révolutionnaires des Black Panthers lors d’une tournée aux États-Unis, Fela Anikulapo-Kuti, artiste jazz, se mue peu à peu en un activiste panafricanisme chevronné, à l’image de sa mère Funmilayo Ransome-Kuti. En revisitant le jazz, son genre de prédilection, Fela Kuti, accompagné de son batteur Tony Allen, crée un style musical à l’image de ses revendications politiques. À contre-courant du modèle occidental, l’afrobeat se caractérise par un mélange inédit de musique traditionnelle nigériane, de jazz et de funk, où les cuivres produisent des sons puissants à l’image des paroles de l’artiste. Deux ou trois thèmes musicaux sont joués en boucle, ce qui donne à l’afrobeat son côté groovy, comme le rappelle Muyiwa Kunnuji, trompettiste du groupe de celui qu’on appelait le « Black President ».
Dans les années 1970, Tony Allen et Fela Kuti vont enchaîner les disques et faire connaitre leur style à l’international avec des titres phares comme "Colonial Mentality" (1977). Ils vont se produire au-delà des frontières nigérianes, comme par exemple au festival de jazz de Berlin en 1978.
Fela Kuti décède en 1997, mais son oeuvre continue à perdurer grâce au travail de son batteur Tony Allen (décédé en 2020), mais également de sa descendance, qui a repris le flambeau en ouvrant la News Afrika Shrine à Lagos au débuts des années 2000. Héritière du club afrobeat Afrika Shrine crée par leur aïeul, la New Afrika Shrine perpétue la culture de l’afrobeat en accueillant des festivals de musiques et des performances inédites des enfants et petits-enfants de Fela Kuti. Dernièrement, c’est une exposition à l’Institut du monde Arabe qui a rendu hommage à cet artiste et ce genre musical vintage, qui a inspiré nombre d’artistes actuels, nigérians comme occidentaux.
L'afrobeats, ou le nouveau style en vogue tout droit venu du Nigéria
Aujourd’hui, le style musical en vogue c’est l’afrobeats, porté par des artistes comme Wizkid, Davido, Rema, Tiwa Savage ou encore Burna Boy. L’afrobeats est souvent confondu avec l’afrobeat, sûrement par abus de language, mais il ne s’en est pas moins inspiré. Le chanteur Burna Boy est revenu sur la distinction entre ces 2 genres dans une interview accordé au média TNM, en rappelant l’influence que Fela Kuti a sur sa musique. Son célèbre titre "Ye" par exemple, est en parti un sample du célèbre "Sorrow, Tears, and Blood" de Fela Kuti.
L’afrobeats est un style 100% nigérian, qui mélange les différentes sonorités des musiques africaines. Sa marque de fabrique c’est "les percussions, les congas, les shakers, [et] les rime shots" comme le souligne le chanteur compositeur Pheelz dans un article du Monde. Cette recette bien huilée donne à l’afrobeats une empreinte rythmique unique, qui donne à toute la planète l’envie de danser. Et on danse quoi ? De l’afrobeats. Car ce genre musical est à l’origine d’une danse du même nom tout aussi populaire.
Avec l’avènement des réseaux sociaux et des plateformes de streaming, l’afrobeats s’internationalise comme jamais. En mars 2023, Davido a sorti un nouvel album Timeless, qui a été streamé des millions de fois, grâce notamment au titre "UNAVAILABLE", véritable phénomène TikTok. En 2022, c’est l’artiste nigérian Rema qui est entré au Guinness Wolrd Record avec son titre "Calm Down", qui s’est classé 1er au classement MENA CHART, classement régional de streaming propre au pays du Magreb et du Moyen-Orient.
Fort de son succès, l’afrobeats attirent les artistes américains, qui cherchent à surfer sur ce style tendance. Ainsi, de nombreux feats ont vu le jour, prenant la forme de remix de sons déjà populaires. On peut citer ici les remix de "Monalisa" par Lojay et Chris Brown, de "Calm Down" par Rema et Selena Gomez, ou encore de "Kulo Sa" par Oxlade et Camilla Cabello. Néanmoins, cette tentative d’occidentalisation de l’afrobeats fait face à la constante créativité des artistes africains et africaines, qui continuent à populariser l’afrobeats. Au-delà de rendre ce style mainstream, ils et elles se le réapproprient à leur manière en le mixant avec de la pop, du rock ou du RnB, à l’instar de la chanteuse américano-ghanéenne Amaraae ou du groupe londonien NSG. Leur titre OT Bop a connu un fort succès sur TikTok, en inaugurant une potentielle future tendance, celle "l’afro-rock".